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Plastiques à usage unique : légalité de l’instruction ministérielle limitant leur achat par l’Etat

Environnement & qualité - Environnement
03/06/2022
Par un arrêt du 16 mai 2022, le Conseil d’Etat juge que la circulaire no 6145/SG du 25 février 2020 du Premier ministre relative aux engagements de l'Etat pour des services publics écoresponsables était légale, alors même qu’elle anticipait sur la législation à venir.
La Fédération nationale de vente et services automatiques contestait la légalité de la mesure 9 de ladite circulaire, ainsi que la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté son recours gracieux. Cette mesure, présentée comme obligatoire par la circulaire, prévoyait que l'Etat s'engageait à ne plus acheter de plastique à usage unique en vue d'une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu'il organise.

Or, la loi no 2020-105 du 10 février 2020, dite « AGEC », a inséré un nouvel article L. 541-15-10 au code de l’environnement, qui prévoit que l’Etat n’achète plus de plastique à usage unique en vue d’une utilisation sur les lieux de travail et dans les évènements qu’il organise à compter du 1er janvier 2022. Le Premier ministre était-il compétent pour édicter une telle instruction dès février 2020, alors que le législateur avait posé une date ultérieure ?

L’arrêt « GISTI » a fixé les critères d’analyse de la légalité des circulaires ou documents de droit souple (CE, Sect., 12 juin 2020, « GISTI », no 418142, Rec. 192). Ceux-ci peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles de d’avoir des effets notables sur la situation des requérants, ce qui ne faisait pas de doute en l’espèce.

Ensuite, trois arguments peuvent emporter l’annulation d’un tel acte :
  • l’autorité qui l’a prise est incompétence ;
  • l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnait le sens ou la portée ;
  • il est pris en vue de mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure.
L’argumentation des requérants se fondait essentiellement sur l’incompétence du Premier ministre, qui aurait empiété sur les pouvoirs du législateur. Or, le Premier Ministre peut toujours, sur le fondement des dispositions de l’article 21 en vertu desquelles il dirige l’action du Gouvernement, adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d’agir dans un sens déterminé ou d’adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur. C’est ce qu’une jurisprudence ancienne a appelé les « directives » puis les « lignes directrices » (CE, Sect., 1970, Crédit Foncier de France c. Demoiselle Gaupillat et Dame Ader, Rec. 750), qui se différencient des actes règlementaires, en ce qu’elles sont des orientations générales, qui ne s'imposent pas absolument à l’administration.

En l’espèce, le rapporteur public souligne que les mesures prévues par la circulaire constituent des « engagements de l’Etat », dont l’application sera progressive. Il en conclut que la circulaire est une « ligne directrice », qui ressort de la compétence du Premier ministre.

Cependant, le Conseil d’État ajoute une phrase qui semble aller un peu plus loin que la jurisprudence traditionnelle relative aux circulaires. En effet, il juge que : « la fixation par les dispositions de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement d'une date à partir de laquelle il sera interdit à l'Etat d'acquérir des produits en plastique à usage unique ne fait pas obstacle à ce que le Premier ministre demande aux ministres et secrétaires d'Etat ainsi qu'aux préfets de région d'anticiper la mise en œuvre effective de cette mesure d'interdiction, notamment afin de favoriser le respect de l'environnement dans l'achat public conformément à l'objectif que le législateur a fixé à l'Etat par l'article 48 de la loi du 3 août 2009. ». 

Ainsi, il semblerait que lorsqu’une loi programmatique environnementale, telle que la loi no 2009-967 du 3 août 2009, dite « Grenelle », donne des objectifs à l’Etat, elle pourrait justifier l’anticipation par celui-ci des mesures législatives à venir, notamment par la prise de mesures d’interdiction à l’intention de ses services.
 
Source : Actualités du droit